Mort de François de Foucauld

8 juillet 2022

J’ai été bouleversé par le suicide du père François de Foucauld jeudi dernier. Ce qui me bouleverse le plus c’est que nous ne l’entendrons plus et que nous avions besoin de lui pour avancer. Ces deux textes, celui de François publié dans La Croix en décembre dernier et celui d’Isabelle Gauldmyn réagissant face au suicide de François expriment ce désarroi et je les laisse à la méditation de chacun afin de laisser résonner en nous ce qui François pourrait nous dire encore. Je pense que François était malade. Mais qui ne l’est pas un peu, nous le sommes tous et nous le rappelons de façon concrète avant de recevoir la communion. Je pense que notre institution est malade, et elle porte en elle les tares de ceux qui la font vivre, mais cette institution dit ce que nous sommes. Comment prenons nous soin des uns des autres, des malades que nous sommes ? C’est pour moi la seule question qui compte. Demandons encore au Seigneur de nous dire la parole qui guérit.

P. Xavier Chavane

Mort de François de Foucauld : le cri d’un prêtre

De Isabelle De Gaulmyn

Le prêtre François de Foucauld a mis fin à ses jours, dimanche 1er juillet. Même si on ne peut jamais comprendre un suicide, ce drame doit nous conduire à regarder en face le profond malaise qui affecte les prêtres de l’Église de France.

« On parle beaucoup de la « grande démission », ce mouvement de fond qui touche les salariés des entreprises refusant de travailler sans voir le sens de leur tâche. Pour les prêtres, cette « grande démission » a commencé voilà bien cinquante ans. »

Le suicide d’un prêtre de Versailles, le père François de Foucauld, a profondément affecté la communauté catholique de l’Ouest parisien. Il faut se garder de toute interprétation ou, pire, récupération. Les « raisons » d’un suicide relèvent de l’intime et conserveront toujours, même si c’est douloureux pour l’entourage, leur part de mystère.

Pourtant, ce suicide touche. Non seulement parce qu’il concerne un prêtre en vue, brillant, entreprenant. Mais aussi parce qu’on le savait en proie à des difficultés avec sa hiérarchie et profondément déstabilisé par des accusations qu’il vivait comme très injustes. Ce suicide nous touche aussi à La Croix, car nous lui avions donné la possibilité de s’exprimer dans une tribune, où il avait livré une analyse sans fard des difficultés de la gestion des prêtres dans un diocèse.

Le cri derrière l’acte tragique

Ce n’est pas le lieu, ici, de chercher les causes, d’accuser sa hiérarchie ou au contraire de relever telle ou telle fragilité psychologique personnelle. En revanche il y a un cri, derrière cet acte tragique, que nous devons être capables d’entendre. Le cri d’un prêtre, qui rejoint le profond malaise de nombreux autres dans l’Église de France aujourd’hui. N’est-il pas temps de nous interroger, collectivement, sur la manière dont nous traitons les prêtres dans notre Église ? Nous fêtons le héros le jour de son ordination, mais ensuite ? Personne ne se préoccupe de savoir comment ils sont soutenus et quelles structures de médiation sont prévues, autres que celles créées par le bon vouloir de l’évêque, qui fait office à la fois de « père » et de patron… Les prêtres ont-ils des temps pour souffler, un accompagnement psychologique, des possibilités de coaching ?

On parle beaucoup de la « grande démission », ce mouvement de fond qui touche les salariés des entreprises refusant de travailler sans voir le sens de leur tâche. Pour les prêtres, cette « grande démission » a commencé voilà bien cinquante ans, avec une chute drastique des vocations, sans que l’on s’en soucie vraiment. Les uns ont accusé le manque de foi : il faut plus prier ! Les autres l’absence de possibilité de mariage – à une époque où le mariage est de plus en plus déconsidéré ! Mais ne faudrait-il pas s’interroger plutôt sur les perspectives qui s’ouvrent devant eux ?

Indifférence coupable à l’égard des prêtres

La manière dont ils sont nommés dans une paroisse, souvent avec pas mal d’arbitraire, laisse perplexe. On ne gère plus les personnes aujourd’hui comme autrefois… Le seul modèle qui attire encore est celui du XIXe siècle, avec des prêtres très engagés mais selon un type d’Église rigide, hiérarchique, qui ne correspond plus à la réalité. Le concile Vatican II a beaucoup parlé des évêques et des laïcs. Mais très peu des prêtres. Benoît XVI avait décrété une « année du prêtre », mais en donnant comme modèle le saint curé d’Ars, dont le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne rencontrait pas les mêmes problèmes que les prêtres d’aujourd’hui.

Car c’est bien là l’urgence. Notre indifférence à ce que vivent les prêtres est coupable car ils sont au premier rang de la crise très profonde de l’Église. Si la désaffection de la pratique et l’effacement du christianisme de la société sont durs pour nous tous, imaginons combien ils sont terribles pour le prêtre, qui incarne l’institution ! « Nous savons ce que nous sommes en train de perdre, mais nous ignorons ce que nous allons devenir », me confiait l’un d’eux. La transition est violente, brutale. Beaucoup font preuve d’une grande créativité, mais d’autres s’épuisent. Qui peut affronter seul une telle crise sans vrai soutien de la communauté ? C’est une question qui nous concerne tous, et pas seulement les évêques. Le synode qui vient de se dérouler en France a donné lieu à d’intenses prises de parole. Mais à aucun moment il ne parle des prêtres, sauf pour les critiquer. D’ailleurs, ces derniers n’y ont que peu participé. Un silence significatif. Et inquiétant.

Abus : « La contrainte au silence dans l’Église ne passe plus »

Tribune deFrançois De Foucauld prêtre du Diocèse de Versailles 2/12/21.

TRIBUNE François de Foucauld, un prêtre du diocèse de Versailles qui estime avoir été victime d’abus de pouvoir, montre dans cette tribune les mécanismes à l’œuvre dans l’institution quand des victimes témoignent. Essentielle, la libération de la parole permettra d’édicter des « règles objectives de gouvernance », espère-t-il.

Je suis prêtre depuis 17 ans dans le diocèse de Versailles. Depuis le séminaire, j’entends parler d’abus. Pédophilie, abus de pouvoir, gouvernances troubles… Ces sujets ne sont pas niés explicitement, mais la parole est enfermée. C’est trop souvent un petit cercle de clercs et laïcs autour de l’évêque qui s’arroge le dernier mot.

Cette contrainte au silence imposée par quelques-uns ne passe plus ; et ainsi ne peut plus être consentie. Nous ne sommes qu’à l’aube d’un nouveau débat sur les abus de pouvoir dans l’Église et les questions qu’il soulève. À la suite des premiers témoins qui ont osé courageusement prendre la parole et que je salue ; des hommes et des femmes, prêtres et fidèles, se sont mis alors à échanger, questionner, formuler une parole plus libre.

Une même mécanique abusive se répète

La première étape de l’abus de pouvoir dans l’Église consiste à faire peur. On fait passer la victime pour une personne fragile, on l’accuse de troubles psychiques. Ces accusations par l’émoi qu’elles suscitent, dispensent la hiérarchie de l’Église comme les proches des victimes, de toute évaluation objective de ces fameux troubles. La seconde étape est alors facile : la victime étant sortie hors du cercle de la raison, et son entourage anesthésié ; l’évêque et son conseil peuvent alors procéder sans contrôles à toutes décisions à son sujet. Elle n’est plus une personne aimable ou de droit. Elle devient juste une chose, un dossier à régler.

Je me rappellerai toujours ces propos de Mgr Boyer, ancien président du tribunal ecclésiastique de Versailles et canoniste réputé, évoquant au sujet des abus de pouvoir dans les diocèses, des pratiques rappelant les « lettres de cachet ». Je comprendrai par la suite cette image qu’il avait choisie : la lettre de cachet retirait également à la victime tout droit à se défendre devant une cour de justice.Il devenait ainsi soumis au bon vouloir d’une seule personne.

Qui fait l’ange fait la bête

Si l’Église demande une obéissance dans l’exercice d’un ministère, elle doit laisser en contrepartie aux clercs et aux laïcs une part d’initiative dans l’exercice de cette obéissance. À commencer par le respect de sa conscience, le souci du débat contradictoire et les droits élémentaires de la défense dans le cadre d’un conflit. À défaut, ce service vécu strictement dans l’obéissance risque de nier les abus potentiels de pouvoir. Qui fait l’ange fait la bête, dit le proverbe.

Aussi, on ne peut pas spiritualiser à l’infini le pouvoir afin de l’apprivoiser. Est-il juste par exemple, de demander d’entrer dans un chemin de pardon alors que les abus de pouvoir sont encore niés dans une affaire ? À ce jeu-là, on risque d’entraîner des hommes et des femmes dans la violence ou un repli amer et résolu.

Le modèle des études de pénibilité

Quel est ce chantier qui s’ouvre à nous ? Il s’agit de clarifier et baliser dans l’Église les étapes de l’exercice du pouvoir, comme on peut diagnostiquer dans un lieu professionnel les gestes entraînant des douleurs au travail. Ainsi, dans ces études de pénibilité, on écoute d’abord les personnes qui subissent ces douleurs. Alors on expertise et on apporte les premières réponses en kinésiologie, afin de compenser telle pénibilité.

Il nous faut faire de même en écoutant d’abord le témoignage des victimes d’abus de pouvoir dans l’Église. Alors nous pourrons apporter les règles de gouvernance adéquates afin de compenser tout abus. C’est un hôpital de campagnenous dirait le pape François, qu’il faut ouvrir dans chaque diocèse pour nous mettre à l’écoute des personnes ayant subi ces abus.

Laurence Devillairs, doyenne de la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris, le signalait à juste titre dans une récente tribune : « La participation de laïcs ou de femmes, parce qu’ils auraient telles qualités, ne modifieraient en rien une institution qui n’aurait pas d’abord modifié son mode de gouvernement. S’il y a abus sexuels, c’est parce qu’il y a aussi, et peut-être d’abord, abus de pouvoir, parce qu’il y a une institution qui l’autorise, le légitime, et le “blanchit”».

Préférer la confiance à la réputation

Il est donc pressant de libérer la parole. Beaucoup de victimes ont encore peur de témoigner des abus vécus, craignant à la fois d’attaquer l’Église et de ne pas être cru, ni même écouté. Comment se fait-il que l’Église oblige ces témoins à un tel parcours du combattant pour exprimer librement ce qu’ils ont vécu en son sein ?

Il y a aussi parmi nous les clercs, une peur du repentir, afin de sauver notre réputation ou celle de l’Église. On remarque pourtant le respect naturel qu’insuffle une personne capable de reconnaître simplement ses fautes. On voit alors s’installer un malaise dans l’Église, où une hiérarchie n’ose pas reconnaître ses abus, sinon quand elle est mise au pied du mur. C’est pourtant un repentir sincère qui fera regagner la confiance.

C’est après avoir médité les abus et dérives racontés par les moines des premiers siècles, que « le patriarche des moines » a écrit la fameuse Règle de saint Benoit. Il a alors fixé des règles objectives de gouvernance pour le père abbé et son conseil, sans que son autorité en soit affaiblie.

Ainsi, il est urgent à notre tour, que les pasteurs et les fidèles entrent dans une véritable considération des témoins des abus de pouvoir aujourd’hui dans l’Église. Alors nous pourrons discerner progressivement ensemble, les règles claires et paisibles de gouvernance au sein de l’Église. C’est bien le débat contradictoire que l’on doit inscrire dans le marbre de nos responsabilités pastorales, que l’on soit évêque, prêtre ou responsable laïc.